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Chapitre 3

J'attends Dim à l'intérieur du hall d'entrée de l'Université afin de rester abritée puisque les conditions météorologiques en ce lundi à Seattle sont pour le moins déprimantes. La pluie battante déferle sur les vitres légèrement sales et les étudiants entrent brusquement pour éviter l'intempérie. Certains referment délicatement leurs parapluies alors que d'autres ont les cheveux trempés. Parmi eux, j'aperçois mon meilleur ami et lui fais signe de la main. Il me rejoint en se plaignant du temps qui le fait ressembler à un chien mouillé. Ses beaux cheveux brillants se sont mutés en une masse indescriptible dans laquelle personne n'aimerait passer sa main. Il sort alors un peigne de son sac à dos bleu marine en toile et essaye de leur redonner une certaine allure. Quand je vous dis que c'est une obsession ! Je ne peux m'empêcher de lui faire remarquer qu'il ne m'a pas salué tant il est obnubilé par sa crinière. Il m'enlace alors tout gêné et s'excuse pour son geste égoïste. Puis il ne tarde pas à me demander comment s'est passé mon week-end en famille. Ne sachant pas par où commencer, je baisse les yeux et observe mes lacets défaits, une triste moue s'affiche sur mon visage terne. Je sens les larmes prêtent à déborder mais je m'efforce de les refouler. Dim range son peigne et de ses doigts fins me redresse le menton, m'obligeant ainsi à relever la totalité de la tête. Je n'ai pas besoin de lui expliquer, il lui suffit de regarder mes yeux humides pour qu'il comprenne. Il me prend dans ses bras et me promet que je peux compter sur lui, ce qui me fait un bien fou. Lorsqu'il dessert son étreinte, il se sent obligé de déclarer :

-          Jack était un homme admirable. Tu l'es tout autant ma chérie.

Je le remercie d'un hochement de tête. J'ai l'impression qu'il veut me poser des questions au sujet de Carolyn. Mais vu mon état, il lui semble plus judicieux de s'abstenir et de garder ses interrogations pour plus tard. C'est alors que la sonnerie assourdissante retentit entre les murs épais de l'Université, nous nous dirigeons donc vers la salle où aura lieu notre premier enseignement de la semaine.

            Madame Sharez, professeure de sciences politiques, débute le cours magistral alors que tous les élèves ne sont pas encore assis. Nous nous sommes installés au second rang en pensant que nous serions moins facilement distraits pendant les deux prochaines heures. Je renonce même à utiliser mon smartphone pour suivre l'actualité des réseaux sociaux. Aujourd'hui, nous allons étudier la démocratie américaine en nous appuyant sur un discours de Barack Obama. Bien que je porte d'habitude de l'attention aux événements politiques, le programme annoncé ne m'enthousiasme guère et je me retrouve rapidement perdue dans mes pensées pendant que tous les étudiants prennent des notes sur leurs ordinateurs, Dim y compris. Je ressasse le passé, me remémorant tous les beaux souvenirs que j'ai eu avec mon père et avec ma famille en général. Un jour, il nous avait emmenées pique-niquer dans un parc près d'une rivière. Il avait soigneusement préparé la totalité du repas lui-même. Bien qu'il soit habituellement un piètre cuisinier, les mets étaient tous autant délicieux les uns que les autres parce qu'ils avaient été faits avec amour. Cette excursion en famille au beau milieu du mois de mai avait ravi tout le monde. Le printemps était déjà bien implanté, des odeurs enchanteresses émanaient des arbres fleuris et les oiseaux sifflotaient gaiement. On entendait au loin le ruissellement de l'eau douce qui coulait timidement sur les galets qu'elle avait creusé avec la force du temps. A ce bruit paisible s'ajoutaient les rires des enfants qui jouaient innocemment au ballon un peu plus loin. Le ciel était d'un bleu féerique dans lequel quelques avions avaient décidés de s'échapper, ainsi je m’allongeai dans l'herbe verdoyante et me mis à fixer l'immensité de l'univers. L'astre suprême m'éblouissait légèrement mais sa caresse sur ma peau était des plus agréables. Alors Carolyn me rejoignit et nous nous amusâmes à imaginer nos vies dans quelques années, les yeux toujours rivés sur le firmament. Elle me raconta qu'elle aurait une immense villa dans les Hamptons, de l'autre côté du pays, avec une chambre prévue pour chacun d'entre nous. Tout cela agrémenté d'une splendide piscine où l'on s'amuserait sans fin. Je lui suggérai d'ajouter une salle de jeu qui contiendrait toutes nos poupées et elle accepta en gloussant. Puis nous continuâmes longuement à nous épancher sur nos rêves de petites filles, sous le regard bienveillant de nos parents. Par la suite, nous avions décidé de nous tremper dans l'eau encore fraîche de la rivière, malgré les avertissements de papa et maman. Nous étions audacieuses et n'avions que faire de leurs remarques assommantes. Bien que réticents, ils avaient fini par se lancer eux aussi et nous nous étions finalement délassés tous ensemble, au milieu de l'eau et des éclats de rire. Et rien n'aurait pu troubler un tel instant.

 

            Revenant difficilement à la réalité actuelle, je me décide enfin à noter le cours dicté par Madame Sharez et reste attentive jusqu'à la fin. En sortant, Dim me propose d'aller déjeuner dans un fast food qui se trouve à deux pas de l'Université. J'accepte en me disant qu'après tout, la nourriture bien grasse est un des meilleurs remèdes pour combattre le blues du lundi matin. Arrivés là-bas, je commande un hamburger au poulet, des frites et une salade afin de m'aider à moins culpabiliser le lendemain. Nous nous installons, affamés, sur une table surélevée accompagnée de tabourets. Je me lance sans plus tarder dans la dégustation de mon repas lorsque Dimitri, qui ne peut rester dans l'ignorance plus longtemps, me demande pudiquement:

-Alors avec ta sœur ?

-Rien de spécial à part qu'elle continue de se droguer, de boire et qu'elle s'obstine à m'approcher le moins possible comme si j'avais la lèpre, répondis-je calmement.

-Écoute, je suis sûr que ça va s'arranger, elle ne peut pas t'en vouloir indéfiniment alors que tu n'as rien fait. Il faut juste qu'elle avale la pilule, en quelque sorte.

-Oui... Je vais devoir m'armer de patience. Je prononce ces mots sereinement mais j'ai juste envie de fondre en larmes et de courir m'enfermer dans les toilettes pour dames.

-Ma chérie, je n'aime pas te voir dans cet état. Décidément, je ne peux vraiment rien lui cacher. Qu'est-ce que tu dirais d'une virée shopping après les cours tout à l'heure ? Ça te ferait penser à autre chose et en plus, il nous faut ab-so-lu-ment une tenue de dingue pour la soirée d'inté jeudi !

Devant ma perplexité, il avance les meilleurs arguments pour me convaincre.

-Tu vas voir, on sera les deux divas de la soirée et tu sais très bien qu'aucun homme ne peut nous résister quand on se met en mode Beyoncé! C'est pas toi qui voulais faire des connaissances ? Tu crois vraiment qu'on va t'approcher si tu ressembles à Gérard Depardieu dans une combinaison de ski ?

En imaginant le look que mon ami me prédit si je ne vais pas faire les magasins avec lui, je ne peux qu'accepter son offre. Et puis il a raison, j'ai besoin de me changer les idées après ce week-end on ne peut plus noir. Je termine donc mon repas très riche en calories et me languis d'être ce soir et de vagabonder dans le centre commercial de Seattle.

 

            Nous regagnons l'Université pour poursuivre notre journée de cours, tout contents du programme qui nous attend après. La pluie continue de tomber bruyamment sur le sol parsemé de larges flaques d'eau que nous évitons tant bien que mal.

            Lorsque  Monsieur Flanigan débute son cours, nous sommes tout ouïes et sommes prêts à l'écouter. Il observe silencieusement l'ensemble de la classe, son regard effectue un panoramique latéral et cherche à définir une victime lorsque ses yeux se posent sur nous.

-Monsieur Livio, c'est bien cela ?

-Oui monsieur, répond poliment Dim.

-Merci de venir au tableau et d'analyser cette publicité de Dior pour vos camarades.

Cet homme à l'air de prendre du  plaisir en affligeant cela à ces élèves.  Je le déteste déjà. Mais je sais que mon meilleur ami est à l'aise à l'oral et qu'il va tous les surprendre. Il se lève discrètement et se place près du pupitre de l'enseignant. A sa droite est projetée une publicité de la campagne de la marque de luxe pour un de ses célèbres parfums qu'il essaye de décrypter face au sourire sadique du professeur.

-        Tout d'abord, la sémiologie de l'image fixe passe par des signes plastiques interprétables. Parmi eux, le cadrage et l'échelle des plans. Ici, on remarque qu'il s'agit d'un format paysage avec un plan rapproché poitrine de la femme qui émerge du bain doré. Il est bon de noter également que nous avons une  division en un tiers/ deux tiers ce qui met en valeur le protagoniste tout comme le halo de lumière juste derrière. De plus, les couleurs dominantes sont le jaune et l'or ce qui symbolise le luxe et l'optimisme. Rien de mieux pour correspondre parfaitement au produit. Je pense qu'il est important d'ajouter que le bain dans lequel se trouve le modèle peut faire référence au célèbre tableau de Botticelli, la Venus, et ainsi à l'essence même de la femme. Pour terminer, nous avons une mise en abîme de l'image dans le slogan car le mouvement du signe linguistique majeur se retrouve dans le mouvement du mannequin.

Puis il retourne s’asseoir l'air de rien, sous les yeux ébahis des élèves et de Monsieur Flanigan encore stupéfait du professionnalisme de celui qu'il pensait piéger.  Déçu, celui-ci le remercie et décharge sa frustration en nous donnant un travail à rendre pour le cours suivant. Je félicite Dimitri qui s'en est excellemment bien sorti et il me gratifie de son plus beau sourire. Nous rangeons ensuite nos affaires dans nos sacs encore mouillés et quittons hâtivement l'Université.

 

            Une fois arrivés au University Village Shopping Center, dans le Nord Est de Seattle, nous ne savons plus où donner de la tête étant donné le nombre de magasins qui nous font tous plus envie les uns que les autres. Nous gravissons les escalators et observons les alentours en nous demandant dans quelle boutique nous allons nous glisser pour commencer notre séance shopping. Une vingtaine de commerces s'étendent tout le long du premier étage, leurs vitrines annoncent la nouvelle collection de cet automne 2015, éclairée par une multitude de lumières artificielles. Des femmes avec des sacs de vêtements plein les mains se plaignent du mal subi à cause de leurs talons aiguilles trop hauts, tandis que des vieillards contemplent la foule, tranquillement assis sur des bancs en bois. Quelques enfants réclament une glace à leurs parents déjà ruinés par leurs achats qui cèdent et finissent par se glisser dans la file d'attente du snack. Des plantes sont postées çà et là afin de mettre un peu de verdure dans ce lieu indéniablement très urbain.

Dim m'entraîne à l'intérieur de son magasin préféré Scotch&Soda et commence à inspecter tous les rayons à la recherche de la tenue qui le rendra si séduisant jeudi. Il déniche quelques articles sympathiques mais pas transcendants qu'il finit par reposer. Un des vendeurs vient à notre rencontre, il est fort charmant avec ses lunettes Ray-ban et son style hipster lui va comme un gant. Mais Dimitri refuse gentiment son aide, il ne supporte pas que quelqu'un le guide dans le choix de ses habits, moi exceptée. Nous quittons alors la boutique pour nous diriger vers Urban Outfitters. Mon meilleur ami ne tarde pas à flasher sur une superbe chemise en jean indigo qu'il essaye sans tarder. Lorsqu'il sort de la cabine, je ne peux qu'admettre qu'elle lui va à ravir. Cependant, je lui suggère d'ajouter un petit nœud papillon pour plus d'élégance et d'originalité. Pendant qu'il continue d'observer son reflet dans le miroir, je vais lui chercher un pantalon noir et une ceinture afin de compléter la tenue. Il rajoute un blazer gris chiné pour parfaire le tout et assortir avec ses chaussures Goor. Il se rechange ensuite, replace tous les produits sur leur cintre respectif et s'avance vers la caisse. La vendeuse semble être séduite et lui fait du rentre-dedans. Je m'apprête à lui dire que ce n'est pas la peine mais je m'abstiens, inutile de la mettre mal à l'aise. Nous la saluons et partons cette fois-ci à la recherche de ma tenue. Après avoir fouillé plusieurs magasins sans succès, nous rentrons dans une enseigne que je ne connais pas, Ann Taylor. Subséquemment avoir fait le tour des portants, je m'installe sur un fauteuil blanc, désespérée à l'idée de ne pas encore avoir trouvé quelque chose qui me plaît. Quand soudain, Dim me rejoint, un cintre à la main. Sur celui-ci trône une magnifique robe bustier couleur coquelicot, un nœud imposant ainsi qu'une sangle plissée sont cousus sous la poitrine afin de marquer gracieusement la taille. Le bas est parfaitement évasé pour s'apparenter à une jupe patineuse et la doublure en mousseline semble arriver un peu au-dessus des  genoux. Je n'hésite pas une seconde et lui arrache des mains afin de l'essayer. Dimitri tire le rideau de la cabine et reste planté là, la bouche grande ouverte, n'arrivant pas à détourner les yeux de cette merveille. J'en déduis qu'elle lui plaît encore plus une fois portée. La taille S me convient absolument, et je suis totalement amoureuse de cette robe. Dim revient avec un collier doré plutôt épais qu'il me passe délicatement autour du cou. Mon choix est fait, c'est la tenue que je souhaite mettre pour la soirée d'intégration. Je la tends à mon ami afin qu'il la repositionne sur le cintre pendant que j'enfile mes anciens vêtements. Lorsque je sors, celui-ci m'attend à l'extérieur du magasin.

-        Dim, mais tu es fou ! C'était à moi de payer cette robe, m’exclame-je.

-        Ça me fait plaisir ma princesse, vraiment.

-        Combien l'as-tu payé ? Je n'ai même pas regardé le prix.

-        Peu importe, ce qui compte, c'est que tu sois canon jeudi soir.

Je suis terriblement ennuyée. Ne sachant pas comment le remercier pour son geste si adorable, je me contente de déposer un baiser sur ses pommettes saillantes.

Nous nous rendons ensuite chez l'esthéticienne pour une épilation des jambes. Je déteste cela mais mon acolyte insiste vivement car « il est hors de question que [je] ressemble à un grizzli portugais ». Je souffre le martyr à chaque fois qu'on me retire une bande de cire et pousse des cris enfantins, ce qui amuse fortement Dimitri. Je regrette amèrement de l'avoir écouté et je jure que cela n'arrivera plus jamais, même si je sais pertinemment que c'est faux. En sortant de cette séance de torture, je meurs de faim. Il est déjà 19h et je devrais être chez moi. Néanmoins, je n'ai aucune envie de rentrer si c'est pour supporter ma famille atypique et au final, rester enfermée dans ma petite chambre. J'essaye donc d'éloigner au maximum le moment où je devrai quitter Dim et lui propose de manger au centre commercial, ce qu'il accepte avec plaisir. Nous descendons les escalators pour nous retrouver à l'entrée du University Village Shopping Center. Nous apercevons au loin, un restaurant qui nous paraît être de bonne qualité. Une fois arrivés face à la devanture,  nous jetons un coup d’œil aux menus dont les prix sont raisonnables. Nous commandons chacun une salade composée et la dégustons en vitesse tant nous sommes affamés. Le repas passe très vite et il est maintenant temps de nous séparer. Mon compère choisit de rentrer en taxi tandis que j'opte pour le bus car plus économique. Le trajet me semble interminable et tant mieux. Je suis assise au fond du véhicule, le front collé sur la vitre froide et la musique dans les oreilles. Je repense au week-end catastrophique que j'ai passé et je donnerais tout pour que notre famille redevienne comme avant.

 

            J'ouvre la porte de notre petit pavillon de façon à faire le moins de bruit possible. La télévision est allumée et son écran éclaire une partie du salon plongé dans le noir. Carolyn se tient là, sur le petit canapé, un joint dans la main droite et une bière dans l'autre. Elle les porte successivement à sa bouche gercée. Je crois qu'elle n'a pas remarqué ma présence.

- Où est maman ? Lui demande-je

-Putain tu m'as fait peur ! Elle est déjà couchée, me rétorque-t-elle. Et toi, qu'est-ce que tu fous là ?

- C'est chez moi aussi je te rappelle, elle pousse un long soupir et tire une barre du produit illicite qu'elle a l'habitude de consommer.

- Elle sait que tu fumes dans le salon ?

- Qu'est-ce que ça peut te foutre ? Réplique-t-elle violemment.

Ne sachant pas quoi répondre face à son agressivité, je monte me réfugier dans ma chambre. J'étends ma robe sur mon lit et l'admire pendant un certain temps. J'aimerais beaucoup la montrer à ma sœur afin qu'elle me donne son avis, mais je suppose qu'elle s'en fiche. Je la range alors proprement dans mon armoire exiguë et décide de faire un saut à la salle de bain avant d'aller me coucher. Sur le bord du lavabo, je remarque des petites pilules blanches et bleues dans un gobelet en plastique. Mais je n'y prête pas plus attention, me disant qu'il s'agit encore des cachets que le psychologue a prescrits à Carolyn. Je me démaquille, me lave les dents et file sous la douche. L'eau chaude qui coule le long de mon corps me fait un bien fou, comme si elle parvenait à me nettoyer de toute ma mélancolie. Je reste un moment sans bouger, les yeux fermés et essaye de faire le vide dans mon esprit. Puis je me rappelle que demain je dois aller à la fac et qu'il est déjà tard. Ainsi, je me sèche en vitesse, attache mes cheveux en une natte négligée et me glisse dans mon lit en espérant trouver le sommeil rapidement.

 

            *

                       

            Cette semaine à l'Université est passée à toute allure. Nous sommes déjà jeudi après-midi et la soirée d'intégration a lieu ce soir. Autant vous dire que Dim est surexcité et qu'il n'a pas cessé de m'en parler. Nous avons désormais rencontré tous nos professeurs, tous plus brillants les uns que les autres. Chaque matière correspond parfaitement à l'idée que je me faisais de mon cursus et je ne regrette en aucun cas d'avoir fait ce choix-là. J'ai hâte d'apprendre toutes les ficelles du métier de journaliste. Je sens mon rêve se rapprocher de plus en plus de la réalité et j'espère vraiment réussir mes études. Les enseignants nous ont conseillé de faire un maximum de stage afin d'avoir une vision précise de la majeure partie des métiers de la communication. Mais j'avoue que pour l'instant j'ai autre chose en tête.            Je dois récupérer ma robe chez moi avant d'aller me préparer à l'appartement de Dimitri. Dans le bus, je rencontre la fille qui m'a donné le flyer la semaine dernière et celle-ci prend place à côté de moi.

-        Salut ! Tu vas bien ? Je ne me suis même pas présentée l'autre jour, me lance-t-elle un peu gênée, je m'appelle Emily et mon ami, la brune c'est Linda.

-        Enchantée, moi c'est Kate.

-        Je vous ai vu, toi et ton ami, au centre commercial l'autre jour, mais je n'ai pas osé venir vous dire bonjour. J'imagine que tu t'es trouvée une super tenue pour ce soir ? Hasarde-t-elle.

-        Oui c'est exact. Et toi, tu sais ce que tu vas mettre ?

-        Oui, enfin pas vraiment... J'ai acheté six robes lundi mais je ne me suis pas encore décidée pour savoir qui sera l'heureuse élue.

J'en déduis donc que cette fille vient d'une famille aisée qui doit avoir une garde-robe plus grande que ma maison. Cette idée m'est plus ou moins confirmée par le sac Louis Vuitton qui est délicatement posé sur ses genoux et le foulard Chanel qui orne son cou fin. Emily est très élégante pour son âge, elle ressemble aux modèles sur les couvertures des magazines de mode. Elle a de grands yeux bleus et des cheveux longs ondulés qui descendent jusqu'en bas de son dos et sa bouche pulpeuse est embellie par une touche de gloss nude. Nous passons le reste du trajet à faire connaissance et j'admets que sa compagnie est très agréable même si elle est très bavarde. Elle descend deux arrêts avant le mien et nous nous saluons en espérant nous retrouver ce soir parmi la foule de la boîte de nuit.

            Une fois chez moi, je pars en direction de la cuisine afin de me préparer un petit en-cas. Je me  fais un smoothie à base de bananes et de framboises puis sors deux barres aux céréales du garde-manger. Quelques minutes plus tard, ma mère me rejoint, une tasse de thé à la main. Elle semble surprise de me voir ici, pourtant je l'avais prévenue de mon arrivée. Je lui fais la bise et lui demande comment elle va, celle-ci se contente d'un haussement d'épaules. Elle a l'air exténuée et sa peau est incroyablement pâle, je pense que cela est dû à son travail de femme de ménage qui lui demande beaucoup d'efforts ainsi que la tristesse d'avoir perdu son mari. Tout cela a transformé la belle femme rayonnante qu'elle était il y a quelques années en une sorte d'épave qui a perdu le goût de la vie. Face à la situation, je me sens obligée de lui montrer que je suis là pour elle, même si je passe beaucoup de temps en dehors de la maison. Je lui murmure un «je t'aime» et la prends dans mes bras. Je sais que ce geste n'effacera pas le vide qu'elle ressent dans la poitrine mais peut-être qu'il peut au moins l'atténuer. Elle me renvoie mon signe d'affection et me sourit timidement. Ensuite, je me sens un peu honteuse de la laisser seule dans son désarroi mais Dimitri m'attend déjà. Elle me propose gentiment de venir me chercher à la soirée mais je n'ai pas envie qu'elle se fatigue encore plus en se levant au beau milieu de la nuit pour jouer les taxis. Ma mère me tend alors 30$ pour que je puisse me payer un moyen de transport, mais je refuse. Je me débrouillerai bien et il est inutile qu'elle gaspille le peu d'argent qu'elle a. Je monte alors dans ma chambre pour récupérer l'ensemble de ma tenue ainsi que mon maquillage. Je suis surprise de voir Carolyn assise tranquillement sur le bord de mon lit, un de mes albums photos entre les doigts. Je l'observe silencieusement. Il s'agit de vieilles photographies, à l'époque où nous étions encore une famille soudée. Lorsqu'elle s'aperçoit enfin de ma présence, elle pose rapidement l'objet à côté d'elle, comme si je l'avais surprise en train de faire quelque chose d'illégal. Devant mon étonnement, elle balbutie:

-        Je... Je  suis désolée, je n'aurais pas dû rentrer dans ta chambre sans ton autorisation.

-        Ce n'est pas grave, ne t'inquiète pas, lui répondis-je amicalement tout en sortant ma robe de mon armoire.

-        Tu sors ce soir ? Me demande-t-elle.

-        Oui, j'ai ma soirée d'intégration au Trinity Night Club.

-        Ta robe est magnifique, je suis sûre qu'elle te va à ravir.

Je m'attendais à tout sauf à  cela et cette remarque me fait extrêmement plaisir, j'ai presque envie de prendre ma sœur dans les bras mais je ne veux pas trop lui en demander d'un coup. Alors je m'accommode d'un mot de remerciement et d'un sourire complice.

-        Au fait, je ne savais pas que tu allais rentrer si tôt de New-York.

-        Mon chauffage est en panne, je n'avais pas envie de me cailler le cul, du coup je suis revenue.

J’acquiesce d'un signe de tête dubitatif et quitte la pièce, impatiente de retrouver mon meilleur ami.

 

            Après avoir sonné, il ne faut pas longtemps avant que Dim vienne m'ouvrir la porte de son loft. Lorsqu'il me voit, il me saute littéralement dans les bras comme si nous ne nous étions pas vu depuis des mois. Il me sert un verre de rosé, sans même me demander si j'en ai envie puis nous trinquons à notre première soirée à Seattle. Je profite de cette ambiance détendue pour lui raconter la scène qui a eu lieu avec Carolyn quelques dizaines de minutes plus tôt. Il semble aussi stupéfait que je l'ai été et m'assure qu'elle s'est juste créée une carapace et s'obstine à cacher la moindre de ses émotions. Il a raison. Je sais que ma sœur a toujours un bon fond malgré ce qu'elle s'acharne à nous montrer. Dim sort quelques amuse-gueules et des canapés qu'il a pris soin de préparer dès qu'il est rentré des cours ; c'est délicieux comme toujours. Il me propose un autre verre de vin afin d'accompagner notre repas, ce que je ne refuse pas. Nous continuons de discuter de tout et de rien jusqu'à ce que l'heure de nous préparer arrive. Je file dans la salle de bain avec le sac de vêtements que j'ai ramené de chez moi. Je mets la robe que mon ami m'a si généreusement achetée lundi ainsi que le collier plaqué or, une paire d'escarpins noirs et un châle au cas où il ferait froid. Je passe ensuite au maquillage, après avoir fait mon teint que j'ai surligné d'un peu de contouring et d'highlighter, je me concentre sur les yeux. J'ai décidé de miser sur un soupçon de mascara et un fard à paupière doré mais léger puis de mettre en valeur ma bouche à l'aide d'un rouge à lèvres rouge mate et intense. Puis, je m'attarde à boucler mes cheveux blonds que je ramène ensuite sur mon épaule droite. Une touche de mon parfum, Parisienne d'Yves Saint Laurent et je suis fin prête à sortir. Je rejoins Dimitri dans le salon. Il est simplement splendide et j'ai l'impression que la tenue que nous avons sélectionnée au centre commercial lui va encore mieux aujourd'hui. Il s'approche de moi afin de m'examiner.

-        Olalala ma chérie, tu es une vraie bombe ! Quand je te vois, j'ai envie de devenir hétéro, je te jure !

Aucun compliment n'aurait pu me faire autant plaisir. Je fais moi aussi l'éloge de ses vêtements et de son apparence générale. Il a laissé ses cheveux lâchés et cela lui donne un aspect sauvage que j'adore. Nous prenons quelques photos avec mon portable afin de garder un souvenir de cette soirée qui s'annonce mémorable. Avant de partir, je nous ressers un verre de rosé chacun et réserve le fond de la bouteille au frais. Un dernier détour à la salle de bain afin de vérifier que notre look est au top et nous sautons dans un taxi, direction le Trinity Night Club.

 

            Il est seulement 21h lorsque nous arrivons et il y a déjà foule. Nous nous faufilons dans la file d'attente bondée et attendons de tendre nos pré-ventes au videur. Nous n'en pouvons plus d'attendre dans le froid. Heureusement, Emily et Linda nous font signe de les rejoindre. Elles se tiennent juste devant l'entrée, une cigarette à la main. Leurs tenues sont à la hauteur de mes espérances, malgré le fait que je les trouve un peu vulgaires. Emily a finalement opté pour une robe noire qui arrive juste en dessous de ses fesses bombées avec des effets de transparence au niveau des côtes. En ce qui concerne son amie, elle porte un minishort en jean avec un haut rouge agrémenté d'un dos nu. Les deux compères sont perchées sur des talons aiguilles de quatre ou cinq centimètres de plus que les miens. Je les présente à Dim, ravi de faire plus ample connaissance avec les deux filles.

 

-        Je connais le videur, c'est mon ex, lance Emily. Je finis ma clope et je vous fais entrer.

Cinq minutes plus tard, nous sommes à l'intérieur de la boîte de nuit. Il a suffi d'un beau sourire et de quelques mots de la part d'Emily pour que Jim nous laisse passer. Je lui suis vraiment très reconnaissante car je n'avais aucune envie d'attendre une demi-heure dans le froid. L'espace est immense. Il est composé de trois salles dansantes (avec un style de musique propre à chacune d'elles), d'une cour intérieure et d'un fumoir. La première pièce dans laquelle nous nous trouvons semble être la plus grande. Deux bars se font face avec, entre les deux, la piste de danse où s'exténuent déjà quelques fêtards courageux. Des barres de pole-dance sont situées sur des estrades dans chaque coin de la salle. En regardant le plafond, je m'aperçois qu'il y a  un deuxième étage mezzanine plutôt consacré aux tables et canapés. De nombreux projecteurs illuminent cet ensemble très vivant avec des  lumières de couleurs différentes et le plongent dans une atmosphère presque irréelle. La musique électro-pop bat son plein et les étudiants rentrent par dizaines dans l'établissement. Linda nous propose de nous installer au bar et nous la suivons tout en continuant d'observer les alentours. Grâce à la carte d'identité de sa sœur de quatre ans son aînée, elle commande une vodka-pomme pour Dim, Emily et moi ainsi qu'un whisky coca pour elle. Après avoir rapidement descendu nos verres, nous nous dirigeons vers la piste de danse. La version remixée de Watch out for this de Major Lazer résonne dans mes oreilles et je détends peu à peu les muscles de mon corps. Mon meilleur ami, très doué, s'est déjà lancé dans une chorégraphie endiablée et nos nouvelles amies ne tardent pas à l'imiter. Plusieurs personnes se joignent à nous et commencent à se déhancher au rythme de la musique du DJ. A ce moment précis, j'oublie tous mes soucis et me concentre sur l'instant présent. Je sens que je vais passer une excellente soirée. Les mélodies s'enchaînent et je ne peux bientôt plus contrôler les mouvements de mon corps dictés par l'ambiance électrisante. Des filles autours de nous débutent une compétition de twerk et je trouve ça très amusant, tous nos préjugés sont mis de côté pour laisser place au divertissement et à la détente. Emily qui s'était apparemment absentée, revient avec quatre verres d'alcool forts qu'elle nous distribue. Linda et Dim les boivent d'une traite tandis que je préfère le consommer petit à petit pour minimiser les effets du breuvage. Apparemment, la petite brune n'a pas l'habitude de picoler puisqu'elle a déjà l'air totalement ivre. Elle se lance alors à l’assaut d'une barre de pole-dance autour de laquelle elle danse langoureusement. Emily essaye de l'arrêter mais sans grand succès. Énervée, elle se dirige alors vers une vieille connaissance qu'elle distingue de l'autre côté de la pièce. Dimitri et moi continuons de danser comme si de rien n'était quand soudain, je ressens le besoin de prendre l'air. Nous nous avançons donc vers la cour intérieure où des fauteuils sont installés. Je prends place dans l'un d'eux et mon ami prend la même décision. Nous discutons de nos impressions positives sur le lieu mais sommes souvent interrompus par des jeunes qui nous demandent une cigarette ou du cannabis. Quelques minutes plus tard, Dim aperçoit le beau Kyle au milieu de la foule.

-        Ma chérie, ça ne te dérange pas si je t'abandonne cinq petites minutes le temps d'aller lui parler?

-        Pas du tout, on se retrouve plus tard.

-        Merci, tu es la meilleure!

Je me retrouve maintenant seule, toujours assise sur le siège en osier. Je décide qu'il est hors de question que j'attende mon dragueur de meilleur ami ici toute la soirée. Je m'oriente alors vers le bar extérieur, prends confortablement place sur un tabouret et demande poliment un verre de soda. Je sympathise avec le barman pas à mon goût mais plutôt agréable à regarder ce qui me vaut un autre verre gratuit. Je me vois mal le refuser et l'accepte donc en le gratifiant d'un sourire charmeur ce que je regrette aussitôt. En effet, je remarque qu'il a désormais les yeux rivés sur ma poitrine pourtant chastement cachée. Linda refait alors son apparition avec un joint dans la bouche dont elle s'amuse à me souffler la fumée dans le visage. J'ai instinctivement un mouvement de recul qui est à deux doigts de me faire tomber à la renverse ce qui ne manque pas d'amuser ma camarade. Elle s'assoit à mes côtés et commence à me raconter sa mésaventure lors de sa danse provocante au milieu des hommes qui ne loupaient rien du spectacle. L'un d'entre eux à commencer à poser sa main poilue sur ses fesses suite à quoi, elle lui a planté son escarpin dans le creux de l'estomac. Cette anecdote la plonge dans une hilarité dont elle n'arrive plus à se défaire. Bizarrement, je pense qu'elle en rigolera beaucoup moins demain en se remémorant la soirée. Elle commande un shooter avec sa fausse carte d'identité et part rejoindre Emily dans la deuxième salle de danse tandis que je finis mon verre gentiment offert par monsieur je-crois-te-mettre-dans-mon-lit-par-ce-que-je-suis-barman. Soudain un homme, grand d'environ un mètre quatre-vingt cinq, substitue le tabouret sur lequel Linda était assise.

-        Tu passes une bonne soirée ? Je ne remarque pas tout de suite qu'il s'adresse à moi.

-        Euh... Oui ça va, je te remercie.

-        J'espère, parce que c'est moi qui l'ai organisée, me confit-il.

-        Tu es Liam quelque chose, non ?

-        Foster, Liam Foster oui, en effet. On t'a parlé de moi ?

-        Tu fais sensation auprès des première-années, lui affirmai-je.

-        Pourtant, ça fait longtemps que j'ai terminé la mienne, ricana-t-il.

-        Tu... tu as quel âge si ce n'est pas trop indiscret ?

-        C'est indiscret, mais je vais quand même te répondre. J'ai 27 ans et je suis maintenant obstétricien.

-        C'est un beau métier j'imagine.

-        Ça l'est. Qu'est-ce qu'une jolie fille comme toi fait seule au bar alors que la boîte est remplie de jeunes de ton âge ? Je sens bêtement le rouge me monter aux joues.

-        Je suis avec des amis. Mais ils se sont un peu éparpillés au fil de la soirée.

-        Je vois... Tu es dans quelle promo ?

-        Première année en information-communication. Je souhaite devenir journaliste.

-        Ça aussi, c'est un beau métier. Dis-moi, tu trouverais cela trop direct si je te demandais ton numéro de téléphone ?

-        Non, bien sûr ! Ainsi, nous échangeons nos coordonnées et j'avoue que c'est avec beaucoup de difficultés que je parviens à le rentrer dans mon répertoire.

-        Une dernière petite question, tu me permets de t'offrir un verre ?

Je suis incapable de dire non à ce si bel homme qui demande aussitôt deux whisky. Je ne tarde pas à regretter ma décision. L'alcool commence vraiment à me monter à la tête et j'ai peur de ne plus être en mesure de tenir sur ce tabouret d'ici quelques minutes. Je me dis alors que je paraîtrai moins saoule une fois sur la piste de danse où j’entraîne celui qui se trouve être le fils de ma proviseure, de neuf ans mon aîné. Il a du mal à se lâcher contrairement à moi qui gesticule dans tous les sens. Mais plus les chansons défilent, plus je sens son corps se coller contre le mien. Je le regarde attentivement même si mes sens sont un peu troublés à cause de mon excès de boisson. Il a de grands yeux verts, semblables aux miens, des cheveux châtains courts impeccablement coiffés et surtout une barbe de trois jours qui me fait craquer. J'aime la sensation de ses mains viriles le long de mes hanches et son odeur de musc. Je ne sais pas si c'est l'alcool qui accentue cet effet là, mais je sens qu'il me plaît vraiment. Il tente de m'embrasser dans le cou mais je le repousse gentiment, ce n'est pas parce que je suis ivre que je deviens une fille facile ! Puis j'éclate de rire bruyamment sans raison apparente. Liam me regarde stupéfait ne sachant pas comment interpréter ma réaction pour le moins étrange. La soirée continue ainsi pendant de longues heures où je croise alternativement Emily ou Linda mais sans jamais rencontrer Dim. Je commence à me faire du souci. Et s'il était parti sans moi ? Je le décris donc à ma conquête et lui demande de le retrouver pendant que je m'assieds dans un coin de la salle trop bruyante pour mon cerveau en bouilli. Un quart d'heure plus tard, Dimitri se tient devant moi, Liam à ses côtés. Je crois qu'il se fait du souci pour moi mais je ne distingue pas un seul mot de ce qu'il est en train de me dire. Son discours abscons ne fait qu'intensifier mon mal de crâne. Je me relève difficilement pour me mettre à sa hauteur mais c'est à peine si je tiens encore debout. Ils m'offrent tous les deux leurs bras, musclé pour l'un, frêle pour l'autre, afin que je prenne appui dessus. J'ai l'impression que le Carnaval de Rio et la Seconde Guerre mondiale sont en train de se rejouer dans ma tête. Dim me tend un verre d'eau que je bois avec engouement.

-        Je vais appeler un taxi et on va rentrer ma chérie, rétorqua-t-il.

-        Pas la peine, j'ai ma voiture sur le parking à l'arrière de la boîte de nuit, je peux vous ramener.

-        Madame Dumthird ne t'a jamais dit de ne pas ramener des inconnus ?

Il ne tient pas compte de ma remarque totalement insensée et me porte telle une princesse, allongée sur ses deux bras, pour aller plus vite. Il fait vraiment très froid et je suis heureuse lorsqu'il m'installe enfin sur la banquette arrière de sa superbe voiture. Je me sers de la veste posée à côté de moi comme couverture et commence à somnoler pendant que les deux hommes discutent à l'avant de l'Audi.

-        Elle est vraiment dans un sale état. Ça lui arrive souvent ?

-        Non mais là elle a de bonnes raisons, sa vie est un peu compliquée en ce moment.

Mon état comateux ne m'empêche pas de maudire Dim pour en dévoiler autant sur ma vie privée à cet inconnu.

-        Ah d'accord...

-        Comment ça se fait qu'un mec de ton âge s'occupe d'une soirée d'intégration pour les première-années ?

-        Je devais une faveur à ma mère, la proviseure de votre Université. Elle aime bien que je gère ça, comme ça je suis un peu l'intermédiaire entre la direction et les étudiants.

-        J'espère quand même que tu ne lui racontes pas comment ils finissent, pouffe Dim. Et ton père, il fait quoi dans la vie ?

 Je ne prête pas attention à la réponse de Liam, je suis trop occupée à remettre mes idées en place.

Arrivés à l'appartement de mon meilleur ami, notre chauffeur nous accompagne jusqu'à la porte pour être sûr que je ne tombe pas dans l'escalier. Il m'installe même dans le lit de Dim. Celui-ci le reconduit jusqu'à sa voiture tout en le remerciant de sa gentillesse. Lorsqu'il se joint à moi, je suis déjà à moitié endormie. Il m'enlève mes escarpins ainsi que ma robe avec peine et se laisse lui aussi porter dans les bras de Morphée.

 

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Comment est né Borderline ?

Vous vous demandez peut-être comment peut venir cette folle idée d'écrire à deux, aujourd'hui, on vous apporte les réponses! 

Tout a commencé un calme soir de mars (oui, je romance légèrement). J'étais chez Betty et nous discutions paisiblement de nos semaines respectives et d'actualités en tout genre. Soudain, je lance le sujet: 
- Il y a une youtubeuse qui a été écrit un livre, c'est dément. Elle a seulement vingt ans et elle publie son propre livre, tu te rends compte ? Moi, j'ai toujours rêvé d'écrire un livre, mais je n'ai pas forcément eu l'idée du siècle...
- Tu sais que moi aussi ? Des fois, avant de m'endormir je pense à des histoires qui feraient de bons livres. 
- Du style ? 
- Je ne te dis pas, tu vas te foutre de moi.
- Non allez, c'est bon. Dis ! 
C'est alors qu'elle accepte de me livrer les idées qui fusent dans son cerveau le soir, avant de se laisser bercer par les bras de Morphée. Elle me raconte, scpetique, ce qui deviendra les bases de notre futur roman. Une fois son court récit terminé, je réfléchis. Comment a-t-elle pu penser que son histoire était insensée et totalement dépourvue d'intérêt ? 
- Mais c'est génial ! M'écriais-je. 
Ainsi, nous nous sommes embarquées dans cette folle aventure qui continue de nous anîmer sept mois plus tard. 
N'hésitez pas à rester branchés si vous voulez en apprendre plus sur le processus de création et d'imagination de notre roman ! Merci d'avoir lu cet article et à bientôt :*
- Maé 
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CHAPITRE 2

Après ces quelques jours de cours très éreintants, je suis contente d’être enfin libérée. J’attends Carolyn sur le parking derrière la fac. Des dizaines de voitures sont alignées, tandis que d’autres essaient de trouver un emplacement où stationner. Je tente de repérer ma sœur, au milieu de tous ces véhicules et le capharnaüm créé par des élèves impatients de rentrer chez eux. Je suis heureuse de retrouver Caro, même si ces derniers temps notre relation est légèrement chaotique. Depuis la mort de notre père, elle est devenue totalement incontrôlable: problèmes d’alcool, de drogue et de violence. Ma mère et moi nous inquiétons beaucoup à son sujet. Le psychologue qui la suit, nous a dit que ce n’était probablement qu’un état passager et que s’arrêtera lorsqu'elle aura réussi à faire son deuil.

            Après plusieurs minutes à scruter le parking, j’aperçois la chevelure flamboyante de Carolyn à travers la vitre de son véhicule. Je n’ai toujours pas compris pourquoi elle avait échangé ses jolis cheveux blonds contre ce rouge cerise, mais je dois admettre que cela lui va très bien. Je me dirige vers sa Chrysler Vison vert scarabé en piteux état, avec une boule au ventre. Je ne sais pas comment ma sœur va m’accueillir. En ouvrant la portière côté passager, je découvre son visage fermé et des larmes menacent d’inonder ses joues.

-          Salut Caro, tu vas bien ?

-          Salut.

-          Merci d’être venue me récupérer.

-          Y’a pas de quoi.

Tout le reste du trajet se fait dans le silence.

Quand nous entrons dans la maison, Caro se dirige directement dans sa chambre et en claque violemment la porte. Cela fait trois mois que je ne l’ai pas vu et elle m’adresse uniquement quelques paroles futiles. Interloquée, je me dirige dans la cuisine, où j’y trouve ma mère en pleurs.

-          C’était il y a un an, jour pour jour…

En entendant ces mots, je suis prise d’un flash-back que je ne peux contrôler. Je revois la police au pas de notre porte, nous annoncer solennellement la mort de mon père. Il était seulement au mauvais endroit au mauvais moment. Lors du braquage de la banque, il s’est retrouvé parmi les clients devenus des otages. Un des malfrats a été pris de panique en voyant les forces de l’ordre arriver et a tiré dans la foule. Mon père, un simple facteur de Lynnwood venu déposer un recommander à l’accueil, s’est pris une balle, qui est venue se loger à l’arrière de son crâne. 

            Quand je repose le regard sur ma mère, son visage est empli de douleur et de tristesse. Je ne sais pas vraiment quoi faire pour la réconforter alors, je la prends simplement dans mes bras et des larmes commencent à ruisseler le long de mon visage.

Le bruit des pas de Caro nous sort de notre étreinte, ma mère essuie son visage avec le revers de son pull beige, trop grand pour elle.

-          Je vais préparer le repas, sa voix est tremblante bien qu’elle essaie de ne rien laisser paraître.

Carolyn et moi nous dirigeons au salon et nous installons sur le petit canapé en velours rouge, chiné par mon père il y a plusieurs années. Face à nous, trône un meuble TV en pain massif dont ma mère a hérité après le décès de ma grand-mère. Il dénote exagérément, dans cette pièce exiguë où des meubles défraîchis occupent tout l’espace restant. Ma sœur reste silencieuse, le regard dans le vide. Je tente péniblement d’entamer la conversation.

-          Alors bien passé ce tournage ?

-          Ce n’était qu’une publicité pour du dentifrice je te rappelle.

-          Je sais, mais c’est un bon début. Je suis sûre que si tu persévères,  tu arriveras un jour à percer au cinéma.

-          Si tu le dis.

Face à son attitude froide et distante, je ne peux m’empêcher d’afficher une moue déçue. Je crois que Caro la remarque, car celle-ci m’offre un petit sourire et une tape dans le dos du bout des doigts. Ce n’est pas encore la grande entente comme ce fut le cas pendant notre enfance, mais ce contact gêné me redonne du baume au cœur. Nous restons toutes deux silencieuses jusqu’au moment du dîner durant lequel notre mère nous annonce que nous irons nous recueillir sur la tombe de mon père le lendemain.

Après avoir desservi la table, je pose un baiser sur la joue gauche de ma mère, lance un regard dans la direction de Carolyn et monte me coucher. Ma chambre est dépossédée de toute décoration, les murs sont blancs, mon lit et ma petite armoire sont les seuls meubles qui remplissent un peu l’espace, même si celle-ci ne brille pas par sa grande superficie. Il faut réellement que je modifie cette ambiance pour lui donner un peu de couleurs et de gaîté, mais je n’en ai jamais vraiment eu le temps ni les moyens. Tout l’argent que nous avons reçu à la suite du décès de mon père a été utilisé pour nos études et l’achat d’une voiture qui ne menace pas de tomber en morceaux au milieu de la route.

Allongée sur mon lit, toutes mes pensées vont vers mon père, cet homme généreux, serviable et travailleur, qui a passé sa vie à tout faire pour nous rendre heureuses. Selon notre entourage mes parents, Bethany et Jack, formaient un couple heureux et ils nous étaient très dévoués.

 

            J’ai du mal à ouvrir les yeux, le réveil affiche 6H18, il est tôt mais je sais très bien que je n’arriverai pas à me rendormir. Je descends l'escalier sur la pointe des pieds pour ne réveiller personne. Une fois dans la cuisine, je me prépare un thé et dispose trois biscuits au beurre sur la table.

            Après avoir pris le petit-déjeuner, je me dirige dans le salon et allume la télévision. Les bulletins d’information me dépriment, c’est comme si tout le monde perdait la tête. Une femme sans problème pouvait assassiner quelqu’un du jour au lendemain sans raison apparente, des hommes victimes de la crise et du chômage volaient avec violences les smartphones d’adolescentes ou devenaient des braqueurs de banques, des enfants étaient enlevés alors qu’ils jouaient tranquillement au parc etc. Beaucoup de monde pense que cela n’arrive qu’aux autres, j’ai également fait cette erreur.

Aux alentours de 8H00, j’entends ma mère et ma sœur discuter dans la cuisine, je les rejoins un peu à reculons.

-          Bonjour ma chérie, la voix de ma mère est plus assurée que la veille.

-          Bonjour. Vous avez bien dormi ? Ma mère se contente de hocher la tête de haut en bas tandis que Carolyn me tourne le dos pour se resservir du café. Je sens que la journée va être longue.

Je m’assieds à l’arrière de la Toyota Camry rouge de ma mère. Nous nous dirigeons au cimetière de Lynnwood pour déposer des roses blanches sur la tombe de mon père. Ces roses ont une signification particulière pour mes parents, mais j’avoue ne jamais leur avoir demandé quelle en était la raison. Tout ce que je sais, c’est que ce sont les seules fleurs que mon père offrait à ma mère et que lors de leur mariage elles étaient disposées sur chaque rangée de bancs dans l’église.

            Arrivées à destination, nous baissons chacune notre regard pour éviter qu’ils ne se croisent, ce qui nous ferait fondre en larmes sans aucun doute. Sur la pierre tombale, la description me sert le cœur. Jack Humdown, père et mari aimant, 12.05.1968- 28.08.2014. Caro et moi regardons notre mère, agenouillée devant la tombe de mon père, lui murmurant quelques mots que nous ne pouvons entendre. La voir comme cela me rend triste au plus haut point, je déteste la voir souffrir de la sorte.

Après cet instant consacré à l’homme qui faisait tourner notre monde, nous montons en voiture et rentrons à Seattle, le cœur lourd.

 

            Le lendemain, j’observe Carolyn défaire ses bagages même si elle ne pense qu'à une chose, retourner à New York où elle vit et travaille en espérant faire décoller sa carrière de comédienne. Je ne sais pas quand elle repartira et encore moins quand je retrouverai ma Caro pleine de joie de vivre et toujours prête à faire des blagues. Ce soir, elle a prévu de dormir chez une amie et ne sais pas quand elle sera de retour. J'ai l'impression qu'elle cherche à nous éviter. Avant qu'elle ne s’en aille, je la vois me regarder, avec une certaine gêne, comme si elle voulait me dire quelque chose. Si c’était le cas, elle s’abstient et quitte la maison familiale sans un mot pour ma mère ou pour moi.

Je passe tout mon dimanche en peignoir sans trouver aucune motivation pour quoi que ce soit. Je reste là, assise sur mon lit, le regard dans le vide et les pensées noires.Je me couche de bonne heure et rêve de mon enfance où Caro et moi étions inséparables.

 Le week-end est déjà terminé, mais je crois que je préfère être assaillie par une multitude d'informations pendant mes cours, que de passer deux jours aussi déprimants à me ressasser le passé.

Ma mère m’attend dans sa voiture et une fois que je me suis installée sur mon siège, nous partons en direction de l'Université où il me tarde de retrouver Dim. Lui seul est capable de me remonter le moral et de me changer les idées dans de tels moments

  

 

 

 

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Chapitre 1

 

Voilà maintenant dix minutes que je suis assise sur ce banc en attendant Dim. Je sais que mon meilleur ami n'est pas du genre à être en avance mais quand même, il pourrait faire un effort pour notre premier jour à la fac. Personnellement, je sens une petite boule dans le creux de l'abdomen. J'ai toujours eu peur de l'inconnu et tous ces étudiants qui courent autour de moi me donnent la nausée. Ne sachant pas où se trouve leur salle de cours, ils font aveuglement confiance à leur instinct grégaire en espérant que le mouvement de foule les emmènera au bon endroit. Je continue d'observer les alentours et m’aperçois que le bâtiment consacré à mon cursus a récemment été rénové. Un chemin de pavés gris conduit à l'entrée principale, elle-même ornée de banderoles nous souhaitant la bienvenue. De nombreuses affiches placardées sous le porche prônent le droit à la liberté d'expression et des deuxièmes années distribuent des flyers concernant la soirée d'intégration qui ne tardera pas à arriver. L'Université de Seattle est reconnue pour son taux de réussite et les qualités de pédagogue des enseignants-chercheurs. Mais ce qui m'a poussée à m'inscrire ici, c'est surtout mon besoin de prendre un nouveau départ. Je ne supporte plus la ville de Lynnwood où j'ai toujours vécu. J'avais besoin de changement et ma famille aussi, ainsi avons-nous décidé de déménager dans le centre de Seattle. L'idée de vivre dans la plus grande cité de l’État de Washington m'effraie autant qu'elle me fascine. Je pense qu'il me faut juste un temps d'adaptation, histoire de prendre mes marques et de me reconstruire après le terrible accident qui nous a accablés l'année dernière.

- Hey salut Kate ! La voix de Dimitri me sort brusquement de mes pensées. Désolé pour le retard mais je n'ai pas vu l'heure, je crois que je me suis endormi dans mon bain...

  • Tu ne changeras donc jamais ! Bon allons-y si on ne veut pas louper le premier cours du semestre.

 

Dim et moi avons toujours eu envie de travailler dans les médias, seulement lui préfère être sous le feu des projecteurs et moi, écrire tranquillement derrière mon bureau. Voilà ce qui explique que nous avons choisi la même filière et la même Université puisque aucune autre dans les comtés voisins ne propose un cursus consacré à l'information et à la communication. Cela fait partie des nombreux points communs que nous partageons avec Dim. Lorsque nous nous sommes rencontrés, il y a quatre ans, j'ai tout de suite su qu'il était l'ami dont j'avais toujours rêvé et plus le temps avançait, plus nous nous rendions compte des similitudes de nos deux personnalités. Tout d'abord, nous avons passé la plus grande partie de notre vie à Lynnwood et partageons notre éreintement pour cette ville. Ensuite, nous rions des mêmes choses, sommes téméraires, un peu lunatiques et pour finir, nous sommes tous les deux attirés par les hommes.

Nous longeons le parc dans lequel Dim m'a rejoint et franchissons la porte d'entrée en acier. Elle donne sur un grand hall dont les murs aux couleurs ternes sont ravivés par des placards de toutes sortes. Une magnifique pendule en fer forgé domine l'espace et sa taille gargantuesque lui donne un charme supplémentaire. Celle-ci confirme ce que je pensais, nous sommes déjà en retard de cinq minutes. Dim me prend la main et m’entraîne dans un des nombreux couloirs bondés qui conduisent aux salles de classes. Nous devons nous arrêter plusieurs fois pour regarder sur les plans affichés dans quelle direction se trouve exactement la L144. Les étudiants commencent peu à peu à se disperser dans les pièces attenantes et nous nous retrouvons bientôt seuls devant un escalier qui semble avoir été fraîchement repeint. Nous le gravissons et arrivons enfin devant la salle où nous avons été convoqués pour recevoir toutes les précisions utiles en ce premier jour à la fac. Nous entrons silencieusement et nous installons côte à côte.

Assis au fond de la salle de classe, nous attendons patiemment que notre proviseure daigne arriver et nous explique enfin le fonctionnement de l'Université. Je m'attends à entendre encore une fois le baratin habituel répété chaque début d'année scolaire sur l'enjeu des études pour notre future vie professionnelle et l'importance d'assister aux cours. En effet, à peine a-t-elle passé le pas de la porte que Mme Dumthird fait l'éloge du corps enseignant et des travaux dirigés, tout cela appuyé par un diaporama qui n'a pas dû être modifié depuis six ans. Sûre d'elle, elle annonce fièrement le programme que nous allons suivre pendant ce semestre ainsi que les noms de nos professeurs. Nous sommes une quarantaine d'élèves à écouter silencieusement son discours, tous assis sur des chaises en bois et accoudés sur les bureaux alignés les uns avec les autres, formant des rangées parallèles. La plupart d'entre nous ont leur ordinateur portable sous les yeux et inscrivent quelques notes sur un document Word. La gent féminine parait en supériorité numérique et je me demande avec lesquelles d'entre elles je pourrais m'entendre. Je porte ensuite mon regard sur Dim, qui est lui-même en train de reluquer un charmant jeune homme aux cheveux bruns frisottant quelques rangs devant lui. Comme je le connais, je sais pertinemment qu'il obtiendra son numéro avant la fin de la journée, qu'il soit homosexuel ou non (il en a déjà converti plus d'un!).

La voix aiguë de Mme Dumthird attire de nouveau mon attention, son tailleur Hermès bleu marine renvoie l'image d'une femme stricte et guindée avec beaucoup d'assurance. Sa coupe en carré met en exergue les traits fins de son visage et sa chevelure marron glacé dénote étrangement avec la pâleur de sa peau. Elle porte des lunettes rectangulaires qui dissimulent légèrement ses rides, un collier de perles orne élégamment son cou ce qui accentue son allure soignée et coquette. Elle insiste sur la notoriété de l'Université qui nous garantit un avenir prometteur tout en nous distribuant des polycopiés sur le règlement intérieur. Après nous avoir donné toutes les informations nécessaires, elle nous présente M. Flanigan qui vient de faire son entrée. Mme Dumthird prend alors congé en nous gratifiant d'un sourire chaleureux et quitte la pièce, toute pimpante sur ses talons aiguilles vertigineux. Notre professeur de communication publicitaire prend quelques instants pour nous informer du contenu de son programme semestriel et débute directement son cours sur la sémiologie de l'image selon Roland Barthes.

Lorsque la sonnerie retentit, nous laissons M. Flanigan seul devant son tableau noir et nous rendons au cours suivant qui a lieu de l'autre côté du bâtiment. Quelques heures plus tard, nous nous dirigeons, Dim et moi, à la cafétéria universitaire afin de déjeuner. Celle-ci se situe à côté de l'entrée principale d'où l'on aperçoit déjà une longue file d'attente dans laquelle nous nous faufilons. Devant nous, se trouvent deux étudiantes qui parlent avec enthousiasme de la soirée d'intégration. Curieuse, je leur demande :

  • Excusez-moi mais, quand a lieu cette soirée ?

  • Jeudi prochain, rétorqua la petite brune, tu devrais venir, ça va être la soirée du siècle. Tout le monde sera là, on va trop s'éclater !

  • En plus, Liam Foster, le fils aîné de la proviseure, fait partie de l'organisation, il est trop canon et personnellement, c'est un élément qui suffit à me convaincre de ramener mon petit cul à cette soirée, ajoute son amie. Tiens, je te donne le flyer, comme ça tu auras toutes les infos nécessaires, j'en ai un en trop.

Je les remercie tandis qu'elles retournent à leur conversation. La soirée aura donc lieu dans une semaine au Trinity Night Club, une des plus grandes boîtes de nuit de la ville. Dim m'arrache le prospectus des mains et le scrute avec attention. Pas de doute, le fêtard qui est en lui ne peut pas louper cette première fête étudiante et il espère bien que je l'accompagnerai. La queue pour aller manger avance plus vite que ce que j'imaginais et je me retrouve désormais en train de choisir entre des boulettes de viandes qui baignent dans l'huile et un gratin de céleri peu ragoutant. Nous dénichons une table vide au fond de la cafétéria et décidons d'y poser nos plateaux repas. Cette grande pièce est illuminée grâce aux nombreuses baies vitrées et l'atmosphère est chaleureuse malgré le brouhaha permanent qui m'empêche d'entendre distinctement les propos de Dim.

  • Hey chérie, tu viens dormir chez moi ce soir ? Je n'ai pas envie d'être seul pour ma première nuit dans mon nouvel appart, me lance-t-il.

  • Oui pas de souci, il faut juste que je prévienne ma mère que je ne rentrerai que demain.

  • Ok super ! j'ai même acheté une deuxième brosse à dents pour que tu puisses venir quand tu veux.

  • Tu penses vraiment à tout Dim, je ris de bon cœur.

 

La suite du repas, bien que celui-ci fût infecte, s'est déroulée dans la bonne humeur comme le reste de la journée qui touche bientôt à sa fin. Nous descendons du bus qui nous a conduits jusqu'à l'appartement de Dimitri se trouvant dans le nord-ouest de Seattle, à deux rues de Holman Road. Ce dernier se trouve au quatrième étage d'un bâtiment ancien mais coquet, qui surplombe le Carkeek Parc. Lorsque Dim ouvre la porte, je suis immédiatement charmée par ce petit studio. Nous entrons directement dans une agréable pièce à vivre dont l'agencement est intelligemment pensé. Le vieux parquet ciré ajoute une touche cosy renforcée par l'immense tapis noir en fibres synthétiques que mon meilleur ami a disposé entre son petit canapé et son écran plat dernier cri. En outre, de multiples photos de nous deux sont accrochées le long du mur blanc cassé et je ne peux m'empêcher de sourire face à ces souvenirs partagés. Une table en mélamine ainsi que ses quatre chaises remplissent le fond de la pièce, éclairée par la fenêtre principale. A droite, on remarque une cuisine en aluminium toute équipée, j'ai hâte que Dim me prouve une nouvelle fois ses talents de cuisinier. Sur ma gauche se trouve une porte en bois entrouverte qui renferme l'unique chambre de l'appartement. Je sais déjà qu'il l'a soigneusement enjolivé car il est depuis toujours un fervent amateur de « Do It Yourself » et des magazines de décoration. Il a travaillé dur dans un petit magasin l'année précédente pour s'offrir un tel appartement et quand je le vois, je me dis que cela en valait la peine.

Un peu plus tard dans la soirée, je m'installe sur le sofa et mon meilleur ami me rejoint, tenant dans sa main droite l'assiette de crêpes que nous venons de préparer. Sa mère est Française et lui a donc enseigné les grandes spécialités de sa région, la Bretagne. Des fois quand je le regarde, je l'imagine avec un béret et une baguette de pain dans les bras et cette image me fait constamment rire. Mon père m'a toujours dit qu'un jour, il m’emmènerait découvrir les magnifiques paysages français, malheureusement, il n'a pas eu le temps de réaliser sa promesse... J'allume la télévision et lance le replay de notre série préférée, Pretty Little Liars, tandis que Dim tartine généreusement son met de beurre de cacahuètes. La dichotomie entre son alimentation copieuse et sa maigreur ne cessera jamais de me surprendre. Il a attaché son incroyable chevelure ondulée et châtain clair en arrière ce qui laisse voir les deux côtés rasés de sa tête et je dois avouer que cela le rend très sexy. Les cheveux de Dim sont sa plus grande obsession et ils accentuent son charme fou, il pourrait attirer l'homme le plus hétérosexuel du monde tant il est charismatique !

- On est d'accord, Caleb est juste le mec le plus beau du monde. Je suis prêt à me faire poser des seins, tuer Hannah et prendre sa place incognito pour pouvoir me le taper!

Je ne réalise pas tout de suite que Dim est en train de me parler de la série et de deux de ses protagonistes. J'explose de rire à l'idée de l'imaginer avec une poitrine et il me donne un coup dans les côtes pour que j'arrête, sans succès, de me moquer de lui. Nous terminons rapidement notre repas très peu équilibré lorsque Dim me demande :

  • Alors, comment as-tu trouvé cette première journée à la fac ?

  • Plutôt sympa, admis-je, j'ai hâte de rencontrer d'autres étudiants.

  • Oui moi aussi, d'ailleurs, je ne t'ai pas dit ! J'ai réussi à avoir le numéro d'un ravissant jeune homme tout à l'heure, il s'appelle Kyle.

  • Oh, laisse-moi deviner, c'est celui qui était devant nous lors du discours de Madame Dumthird et qui a des cheveux frisés ?
  • Exact, comment tu sais ?

  • Une simple intuition... j'aurais dû parier ! Dim prend la bombe de crème fouettée et la place devant sa bouche qu'il remplit à ras bord avec le produit ultra calorique puis continue :

  • Et Seattle, ça te plaît ? Moi je trouve ça pas mal pour changer d'air après Lynnwood.

  • Je ne sais pas encore, je pense que cette ville nous réserve beaucoup de surprises. Reste à savoir si elles sont bonnes ou pas...

Puis sur ces mots, nous débarrassons la table, faisons un passage éclair à la salle de bain et nous couchons côte à côte. Dim me souhaite bonne nuit et me donne un baiser sur le front en signe de tendresse. Demain, nous devons nous réveiller de bonne heure pour aller à l'Université et je sens mes paupières lourdes se fermer peu à peu.

 

Lorsque je me lève, les yeux mi-clos, je devine que Dim a préparé le petit-déjeuner. En effet, deux verres de jus de fruits sont posés sur la table accompagnés d'un bol rempli de muesli et de lait de soja. Je le vois suspendu au téléphone sur le balcon, je commence donc à manger sans lui. Pendant ce temps-là, j'envoie un texto à ma sœur Carolyn en espérant qu'elle puisse venir me récupérer ce soir après les cours. Celle-ci me répond presque instantanément d'un simple « ok ». De sa part, je ne m'attendais pas à un message plus sympathique. J'observe ensuite l'emploi du temps qui m'a été attribué hier. Aujourd'hui, je suivrai successivement les travaux dirigés de lecture de l'actualité, économie de la communication, sémiologie des médias et sociologie des organisations. Ce programme me ravit et j'ai hâte d'aller en cours. Dim fait son apparition et m'annonce qu'il prenait des nouvelles de ses parents et de sa petite sœur, restés dans notre ville natale. Mon meilleur ami est très attaché à sa famille et notamment à Dana de 6 ans sa cadette. Je m'entends très bien avec eux et ses parents sont formidables. Ils ont toujours soutenu leur fils et compris son attirance pour les hommes ce qui, par ailleurs, lui a valu de nombreuses insultes de la part des habitants frustrés de Lynnwood. C'est pendant cette période difficile pour lui que nous nous sommes rencontrés. Enfin, je le connaissais déjà mais seulement de vue. Et lorsque je l'ai aperçu seul au fond de la salle de classe, je n'ai pas pu m'empêcher de m’asseoir à côté de lui. Tous les regards étaient braqués sur nous, comme si nous étions deux criminels recherchés par le FBI. Mais je m'en fichais et ce fût la meilleure décision de ma vie. J'ai alors perdu tous mes amis de l'époque qui ne comprenaient pas pourquoi je restais avec ce « pd ». Moi, ce que je ne comprenais pas, c'est ce qui m'avait poussé à perdre mon temps avec ces personnes, obligées de dénigrer les autres pour se sentir supérieures. Dim et moi étions mis à l'écart du reste de la classe mais notre amitié n'en a été que renforcée. Et aujourd'hui, je ne peux imaginer ma vie sans lui.

 

Le temps presse et je me maquille en vitesse avant de partir attendre le bus de l'autre côté de la rue. Je m'apprête à passer une journée agréable mais longue et je suis partagée entre la joie de rentrer chez moi pour retrouver ma famille et l'appréhension d'un week-end qui s'annonce compliqué.

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