CHAPITRE 2

Après ces quelques jours de cours très éreintants, je suis contente d’être enfin libérée. J’attends Carolyn sur le parking derrière la fac. Des dizaines de voitures sont alignées, tandis que d’autres essaient de trouver un emplacement où stationner. Je tente de repérer ma sœur, au milieu de tous ces véhicules et le capharnaüm créé par des élèves impatients de rentrer chez eux. Je suis heureuse de retrouver Caro, même si ces derniers temps notre relation est légèrement chaotique. Depuis la mort de notre père, elle est devenue totalement incontrôlable: problèmes d’alcool, de drogue et de violence. Ma mère et moi nous inquiétons beaucoup à son sujet. Le psychologue qui la suit, nous a dit que ce n’était probablement qu’un état passager et que s’arrêtera lorsqu'elle aura réussi à faire son deuil.

            Après plusieurs minutes à scruter le parking, j’aperçois la chevelure flamboyante de Carolyn à travers la vitre de son véhicule. Je n’ai toujours pas compris pourquoi elle avait échangé ses jolis cheveux blonds contre ce rouge cerise, mais je dois admettre que cela lui va très bien. Je me dirige vers sa Chrysler Vison vert scarabé en piteux état, avec une boule au ventre. Je ne sais pas comment ma sœur va m’accueillir. En ouvrant la portière côté passager, je découvre son visage fermé et des larmes menacent d’inonder ses joues.

-          Salut Caro, tu vas bien ?

-          Salut.

-          Merci d’être venue me récupérer.

-          Y’a pas de quoi.

Tout le reste du trajet se fait dans le silence.

Quand nous entrons dans la maison, Caro se dirige directement dans sa chambre et en claque violemment la porte. Cela fait trois mois que je ne l’ai pas vu et elle m’adresse uniquement quelques paroles futiles. Interloquée, je me dirige dans la cuisine, où j’y trouve ma mère en pleurs.

-          C’était il y a un an, jour pour jour…

En entendant ces mots, je suis prise d’un flash-back que je ne peux contrôler. Je revois la police au pas de notre porte, nous annoncer solennellement la mort de mon père. Il était seulement au mauvais endroit au mauvais moment. Lors du braquage de la banque, il s’est retrouvé parmi les clients devenus des otages. Un des malfrats a été pris de panique en voyant les forces de l’ordre arriver et a tiré dans la foule. Mon père, un simple facteur de Lynnwood venu déposer un recommander à l’accueil, s’est pris une balle, qui est venue se loger à l’arrière de son crâne. 

            Quand je repose le regard sur ma mère, son visage est empli de douleur et de tristesse. Je ne sais pas vraiment quoi faire pour la réconforter alors, je la prends simplement dans mes bras et des larmes commencent à ruisseler le long de mon visage.

Le bruit des pas de Caro nous sort de notre étreinte, ma mère essuie son visage avec le revers de son pull beige, trop grand pour elle.

-          Je vais préparer le repas, sa voix est tremblante bien qu’elle essaie de ne rien laisser paraître.

Carolyn et moi nous dirigeons au salon et nous installons sur le petit canapé en velours rouge, chiné par mon père il y a plusieurs années. Face à nous, trône un meuble TV en pain massif dont ma mère a hérité après le décès de ma grand-mère. Il dénote exagérément, dans cette pièce exiguë où des meubles défraîchis occupent tout l’espace restant. Ma sœur reste silencieuse, le regard dans le vide. Je tente péniblement d’entamer la conversation.

-          Alors bien passé ce tournage ?

-          Ce n’était qu’une publicité pour du dentifrice je te rappelle.

-          Je sais, mais c’est un bon début. Je suis sûre que si tu persévères,  tu arriveras un jour à percer au cinéma.

-          Si tu le dis.

Face à son attitude froide et distante, je ne peux m’empêcher d’afficher une moue déçue. Je crois que Caro la remarque, car celle-ci m’offre un petit sourire et une tape dans le dos du bout des doigts. Ce n’est pas encore la grande entente comme ce fut le cas pendant notre enfance, mais ce contact gêné me redonne du baume au cœur. Nous restons toutes deux silencieuses jusqu’au moment du dîner durant lequel notre mère nous annonce que nous irons nous recueillir sur la tombe de mon père le lendemain.

Après avoir desservi la table, je pose un baiser sur la joue gauche de ma mère, lance un regard dans la direction de Carolyn et monte me coucher. Ma chambre est dépossédée de toute décoration, les murs sont blancs, mon lit et ma petite armoire sont les seuls meubles qui remplissent un peu l’espace, même si celle-ci ne brille pas par sa grande superficie. Il faut réellement que je modifie cette ambiance pour lui donner un peu de couleurs et de gaîté, mais je n’en ai jamais vraiment eu le temps ni les moyens. Tout l’argent que nous avons reçu à la suite du décès de mon père a été utilisé pour nos études et l’achat d’une voiture qui ne menace pas de tomber en morceaux au milieu de la route.

Allongée sur mon lit, toutes mes pensées vont vers mon père, cet homme généreux, serviable et travailleur, qui a passé sa vie à tout faire pour nous rendre heureuses. Selon notre entourage mes parents, Bethany et Jack, formaient un couple heureux et ils nous étaient très dévoués.

 

            J’ai du mal à ouvrir les yeux, le réveil affiche 6H18, il est tôt mais je sais très bien que je n’arriverai pas à me rendormir. Je descends l'escalier sur la pointe des pieds pour ne réveiller personne. Une fois dans la cuisine, je me prépare un thé et dispose trois biscuits au beurre sur la table.

            Après avoir pris le petit-déjeuner, je me dirige dans le salon et allume la télévision. Les bulletins d’information me dépriment, c’est comme si tout le monde perdait la tête. Une femme sans problème pouvait assassiner quelqu’un du jour au lendemain sans raison apparente, des hommes victimes de la crise et du chômage volaient avec violences les smartphones d’adolescentes ou devenaient des braqueurs de banques, des enfants étaient enlevés alors qu’ils jouaient tranquillement au parc etc. Beaucoup de monde pense que cela n’arrive qu’aux autres, j’ai également fait cette erreur.

Aux alentours de 8H00, j’entends ma mère et ma sœur discuter dans la cuisine, je les rejoins un peu à reculons.

-          Bonjour ma chérie, la voix de ma mère est plus assurée que la veille.

-          Bonjour. Vous avez bien dormi ? Ma mère se contente de hocher la tête de haut en bas tandis que Carolyn me tourne le dos pour se resservir du café. Je sens que la journée va être longue.

Je m’assieds à l’arrière de la Toyota Camry rouge de ma mère. Nous nous dirigeons au cimetière de Lynnwood pour déposer des roses blanches sur la tombe de mon père. Ces roses ont une signification particulière pour mes parents, mais j’avoue ne jamais leur avoir demandé quelle en était la raison. Tout ce que je sais, c’est que ce sont les seules fleurs que mon père offrait à ma mère et que lors de leur mariage elles étaient disposées sur chaque rangée de bancs dans l’église.

            Arrivées à destination, nous baissons chacune notre regard pour éviter qu’ils ne se croisent, ce qui nous ferait fondre en larmes sans aucun doute. Sur la pierre tombale, la description me sert le cœur. Jack Humdown, père et mari aimant, 12.05.1968- 28.08.2014. Caro et moi regardons notre mère, agenouillée devant la tombe de mon père, lui murmurant quelques mots que nous ne pouvons entendre. La voir comme cela me rend triste au plus haut point, je déteste la voir souffrir de la sorte.

Après cet instant consacré à l’homme qui faisait tourner notre monde, nous montons en voiture et rentrons à Seattle, le cœur lourd.

 

            Le lendemain, j’observe Carolyn défaire ses bagages même si elle ne pense qu'à une chose, retourner à New York où elle vit et travaille en espérant faire décoller sa carrière de comédienne. Je ne sais pas quand elle repartira et encore moins quand je retrouverai ma Caro pleine de joie de vivre et toujours prête à faire des blagues. Ce soir, elle a prévu de dormir chez une amie et ne sais pas quand elle sera de retour. J'ai l'impression qu'elle cherche à nous éviter. Avant qu'elle ne s’en aille, je la vois me regarder, avec une certaine gêne, comme si elle voulait me dire quelque chose. Si c’était le cas, elle s’abstient et quitte la maison familiale sans un mot pour ma mère ou pour moi.

Je passe tout mon dimanche en peignoir sans trouver aucune motivation pour quoi que ce soit. Je reste là, assise sur mon lit, le regard dans le vide et les pensées noires.Je me couche de bonne heure et rêve de mon enfance où Caro et moi étions inséparables.

 Le week-end est déjà terminé, mais je crois que je préfère être assaillie par une multitude d'informations pendant mes cours, que de passer deux jours aussi déprimants à me ressasser le passé.

Ma mère m’attend dans sa voiture et une fois que je me suis installée sur mon siège, nous partons en direction de l'Université où il me tarde de retrouver Dim. Lui seul est capable de me remonter le moral et de me changer les idées dans de tels moments

  

 

 

 

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